Résonances, Marion Baruch
16.11.2019 - 10.11.2020
Commissariat de Noah Stolz et Audrey Teichmann
DÉCENNIES
Née en Roumanie en 1929, Marion Baruch a développé dès les années 1950 un ensemble de pratiques liées à la peinture, à la sculpture, au design expérimental, aux œuvres participatives, à l'organisation d'événements socio-politiques, travaux progressivement marqués par l'émergence de l'esthétique relationnelle (1). Ce rapport au spectateur comme condition de l'œuvre d'art est en avant-garde dans le travail de Marion Baruch. Dès 1994, sous le nom de Name Diffusion, « marque » littérale, elle adjoint à la question de l'autre comme consommateur d'images et d'objets celle de la médiation de l'objet au sein des protocoles de production industrielle. L'œuvre est considérée dans une sphère dépassant ses simples contours, son caractère unique - héritage industriel -, son auteur, invisibilisé par le label.
TEXTILES
C'est à Paris que, dans les années 2000, l'artiste récolte dans le quartier du Sentier les premières chutes de la production textile, qu'elle accumule dans une chambre vide. Transformé avec d'autres participants par tressage, nouage et assemblage, le tissu crée le lien pour la rencontre : l'espace social de la fabrique se substitue au lieu industriel de production. Dès 2012, Marion Baruch recommence à travailler, après de longues années, dans l'espace de l'atelier, et y produit des œuvres formelles, selon un nouveau protocole : le remploi des rebuts de l'industrie du prêt-à-porter et de la haute couture milanaise.
Des pans de tissus, parties inusitées de la fabrique de vêtements, figurent le négatif des morceaux choisis et à porter. Ces expérimentations tiennent d'un ready-made paradoxal : non attaché à un objet industriel, mais à son reste, soit à tout ce qu'il n'est pas ou plus. Le corps s'affiche en absence sous les doublures de cols, les découpes de manches, les dos dédoublés. Les seules interventions de l'artiste tiennent au choix de ces pièces, puis à leur accrochage. Sélection et gravité font œuvre. Dès lors, chaque pièce s'impose dans sa pure forme créée par son premier accrochage : radicalité graphique ou replis définissent alors des aplats d'apparence tridimensionnelle ou les voluptueux reliefs de chutes libres.
FICTIONS
Le devenir de la chute est transfiguré par ces gestes et retournement instaurés par l'artiste, tandis que le vide exprime la possibilité d'une fiction avivée par le titre de l'œuvre, ou la discussion à son sujet. Le tremblement de deux des quatre «portraits» contenus dans Autorità e autorevolezza (2018), contre le contour défini des deux autres visages, signale la fine séparation entre géométrie graphique et « tombé ». Alors, Le reste est le récit : les rebuts sont investis d'un mystère tenant du rapport avec un artiste, un objet (Lampadario, 2015), des portraits, réactivés de mémoire. Dans le devenir narratif du lambeau, ce qui manque donne une valeur accrue à l'objet.
RÉSONANCES
Les œuvres réunies au sein de l'exposition Résonances tiennent de ces alternances et chambres d'écho. Son titre renvoie en premier lieu au lien intime de l'artiste avec la musique, dans lequel elle fut immergée auprès d'une mère musicienne. Les Harpes (2011) sont instruments à corde et dessins techniques, récurrence de l'analogie entre musique et architecture : « La musique, c'est une architecture liquide ; l'architecture, c'est de la musique figée » (2). De même, Le reste est le récit (2019) est l'ambiguïté d'une fenêtre albertienne ouverte sur un mur.
Résonances s'inscrit, en second lieu, dans l'analyse de cette notion par Hartmut Rosa (3) : l'expérience d'une vibration reliant l'homme au monde, par la médiation de l'art ou de la musique, comme de la voix ou des objets, contre l'accélération de la contemporanéité.
À cet égard, le protocole de Marion Baruch, tenant de l'apparition d'images sur les restes contrastés de tissus, fait entrer en résonance réel et mémoire d'un réel : un voile de Véronique en creux, et sans mystique. Ce creux est la moitié vide de la Casetta in Canada (2019), qui, à la manière de Matta-Clark, est la construction coupée d'un espoir d'exil outre-Atlantique, et celle de l'incomplétude des images.
La radicalité du travail de Marion Baruch tient, ainsi, à l'autorité combinée du choix d'un tissu - cadre, lambeau ou fragment - et du geste. L'œuvre s'en trouve déterminée en tant que telle selon un langage inscrit non seulement dans son protocole d'émergence, mais, surtout, dans un devenir continuel.
Audrey Teichmann
1. N. Bourriaud, Esthétique relationnelle, Presses du réel, Paris, 1998
2. J. W. von Goethe, Lettre à Eckermann, 4 février 1829
3. H. Rosa, Résonance, Une sociologie de la relation au monde, La Découverte, 2018