Quand on interroge Marion Tampon-Lajarriette sur ce qui l’intéresse, elle répond sans hésiter que c’est le « méta » des images qui la fascine. Il faut comprendre par-là, leur mode de production, les croyances qu’elles véhiculent et les fonctions que les représentations revêtent au sein d’une communauté.
Pour l'exposition Eventide, Marion Tampon-Lajarriette s’est emparée d’une des plus anciennes techniques photographiques, le cyanotype. Apparue au milieu du 19e siècle, cette empreinte bleue, obtenue par l’exposition directe au soleil d’une solution chimique appliquée sur une feuille de papier, l’a interpellée. Se soustrayant à toute mécanique, l’image naît des conditions environnantes. La qualité du rayonnement solaire et l’abondance de l’eau nécessaire à fixer le tirage sont ici des données fondamentales du procédé. Le caractère « essentialiste » du cyanotype, sa proximité avec les rythmes naturels et l’écoulement lent du temps possèdent quelque chose d’osmotique qui se reflète dans le titre de sa première exposition personnelle à la Galerie Laurence Bernard. Au sens littéral, Eventide signifie « marée du soir » et décrit le moment où le jour et la nuit se confondent dans une continuité douce.
De cette évanescence bleutée surgit une série d’études de mains. Le motif renvoie à l’appareil préhenseur, plus vieil l’outil de l’homme. En mettant l’accent sur les mains avec lesquelles on accomplit les gestes du quotidien, Marion Tampon-Lajarriette souhaitait rendre hommage à la pratique d’atelier, qu’elle a suivie pour concevoir cette série. Apparaissant sur des pages nues d’un cahier de croquis, les mains reproduites par l’artiste semblent être à chaque fois le fruit fragile d’une journée de travail, la résultante de gestes éphémères et vaporeux qui par répétition donnent au monde sa consistance.
Un lien ténu existe entre l’empirisme de la démarche artistique et l’empirisme qui a vu naître les sciences naturelles au 18e siècle. Les citations qui accompagnent les représentations de mains renvoient aux observations « primitives » des phénomènes météorologiques. Le bleu (cyan en grec) était employé comme unité de mesure pour comprendre l’origine des précipitations. Les naturalistes mesuraient à l’aide d’un cyanomètre, sorte de nuancier de bleu, la profondeur et l’intensité de la couleur du ciel. Plus l’atmosphère était bleue, plus elle était chargée en eau.
En regardant son œuvre avec attention, il apparaît qu’une composante importante des travaux de Marion Tampon-Lajarriette repose sur l’invisible. Elle aime sonder l’enveloppe de mystère qui recouvre les êtres et les choses, car dans ses profondeurs se dessinent les limites de la perception humaine, des capacités conceptuelles et imaginatives. L’invisible est à l’œuvre dans son installation vidéo Hot Marble qui présente des sculptures antiques parcourues par les caresses de mains inconnues, rendues lumineuses par une caméra infrarouge. Quant à Echo, la sculpture joue de l’ombre et de l’élision pour laisser au spectateur le soin de reconstruire une réalité tronquée.
Valérie Clerc, novembre 2018