La galerie Laurence Bernard est heureuse de présenter Pollen, la seconde exposition personnelle à Genève de l’artiste Française Caroline Corbasson.
Pollen
Caroline Corbasson
« Le pollen de la forêt sans fin. »
C’est en ces termes que le poète Pablo Neruda[1], alors consul en Asie pour le gouvernement chilien, décrit avec émerveillement dans La Solitude lumineuse[2] l’odeur d’une nature foisonnante s’étendant à perte de vue sous le regard contemplatifs de statues de Bouddha. Au cœur de la nuit profonde, c’est avec la même fascination que Caroline Corbasson contemple le ciel étoilé, source primordiale de son œuvre. Dans ses dessins au charbon, les astres se muent en une nuée de pollens en suspension dans l’air, et inversement. Sous sa main, le vide abyssal devient un seuil fécond. La terre s’ouvre, le ciel se pétrifie. La matière noire se dépose sur la feuille telle le pollen sur la fleur. Le trait, d’une précision naturaliste, induit et entretien paradoxalement le trouble : à quelle échelle se trouve notre vision ? Le regard et par extension le corps du spectateur se renversent, sa perception atteint ses limites tandis que les frontières entre un grain et une étoile s’effondrent sous ses yeux, emportés par le vertige de l’image.
Caroline Corbasson s’est constituée au fil du temps une archive visuelle sur l’astronomie par la collecte de livres, d’objets et de documents scientifiques qu’elle s’approprie pour en révéler le potentiel poétique. Pour l’exposition Pollen, l’artiste réalise une série de tirages argentiques de vues de l’espace conçue à partir de négatifs sur plaques de verre provenant du Laboratoire d’astrophysique de Marseille. Dans un geste quasi performatif, elle s’est enfermée dans une chambre noire isolée de toute lumière afin de révéler de nouvelles photographies, une cécité nécessaire sous peine de les voir s’évaporer. De l’obscurité absolue naissent de profondes étendues de couleurs aussi éclatantes qu’irréelles, de vastes champs monochromes d’où émerge une nébulosité de pollen noir, un univers entier renversé. Ces archives revisitées sont comme des cartes d’un ciel passé, décryptées à l’aveugle pour permettre l’exploration d’un monde invisible et inatteignable.
L’astrophysique et la botanique, deux sciences à première vue si distantes, ont depuis toujours entretenu des relations ténues. Caroline Corbasson unis ces deux objets d’études, deux pôles extrêmes de vie et de mort. Ses herbiers, réalisés à partir de récoltes de végétaux issus d’une réserve de ciel étoilé dans les Cévennes, conservent les témoins d’une nuit préservée des lumières envahissantes des villes. Le parc devient un gynécée[3] providentiel où les étoiles semblent couver de leur scintillement séculaire les fleurs éphémères. Les tirages au charbon[4] de deux d’entre elles révèlent cette filiation lointaine. Passées sous une lumière noire, les pétales se parent de taches phosphorescentes résultant du phénomène de pollinisation, mais qui sous l’objectif de Caroline Corbasson et Andréa Montano deviennent les traces séminales des astres sur leurs progénitures terrestres. Les fleurs sont alors semblables aux Bouddha de pierre sur lesquels « jaillissent de petites macules : champignons, porosités, traînées excrémentielles de la forêt », cette sylve cosmique à la fois mâle et femelle, infinie, si éloignée et pourtant si proche.
[1] Pablo Neruda est le nom de plume de Ricardo Eliécer Neftalí Reyes-Basoalto, poète, écrivain, diplomate, homme politique et penseur chilien, né le 12 juillet 1904 à Parral (province de Linares, Chili), mort le 23 septembre 1973 à Santiago du Chili. Figure majeure de la poésie chilienne du XXème siècle, Prix Nobel de littérature en 1971, son style lyrique marqué par une pensée profondément humaniste et un fort engagement politique lui vaudra la méfiance du gouvernement fasciste du Général Pinochet. Les causes réelles de sa mort suscitent encore la controverse.
[2] La Solitude lumineuse (2004, Paris, Gallimard, collection « Folio 2euros » no 4103, 2004) est le titre de la réédition partielle de l’ouvrage J’avoue que j’ai vécu, publié en France pour la première fois en 1972 par Gallimard dans la collection « Du monde entier ».
[3] Un gynécée désigne en architecture une partie de l'habitation réservée aux femmes et aux enfants dans la Grèce antique. En botanique, un gynécée est le nom donné à l'ensemble des carpelles, les organes reproducteurs femelles des fleurs.
[4] Le tirage au charbon, appelé aussi procédé Fresson, est inventé par l’ingénieur chimiste et photographe français Alphonse Louis Poitevin en 1855. Ce procédé consiste en l’ajout de charbon à un mélange de bichromate de potassium et de gélatine sur une feuille de papier. Après avoir durcie à la lumière, la gélatine est dépouillée de son surplus avec de l’eau, laissant apparaître toutes les nuances du négatif.