Employée en mathématique comme en philosophie, la notion d'hyperréalité renvoie aussi bien à une extension du réel qu'à une réalité différente de la réalité objective, qui conduit à ne plus pouvoir faire la différence entre le vrai et le faux. En choisissant d'intituler l'exposition qu'il présente à la Galerie Laurence Bernard Hyper réel, Bertrand Planes développe un discours sur la représentation du paysage qui renvoie à l'ontologie de l'art, au statut de la copie, mais également à la multiplication des moyens de reproduire le réel.
Les paysages exposés par Bertrand Planes se situent aux confins de la création picturale. Leur genèse transgresse aussi bien les valeurs que les modes de production habituels du genre. En effet, en se détournant du pleinairisme et de la peinture sur le motif pour porter son regard sur des objets marginalisés, comme le sont les toiles qu'il a récupérées dans des vides-greniers, Bertrand Planes introduit une réflexion sensible sur la consommation des images.
En intervenant sur des tableaux achevés dont les auteurs ont disparus, l'artiste rompt plusieurs conventions: Premièrement, il se saisit d'objets ignorés par le marché de l'art dans la perspective d'en faire renaître l'intérêt. Deuxièmement, en convoquant successivement la peinture, la photographie et la projection vidéo sur un même support, il surdétermine son sujet et questionne ainsi notre rapport aux modes de reproduction et au concept d'aura introduit par Walter Benjamin.
Dupliquée sur son propre support, imprimée à l'endroit même où elle se trouvait, l'image du paysage originel que l'artiste donne à voir brouille les pistes et entretient un rapport ambigu au réel dont elle devient une manifestation contradictoire. L'ajout de couches picturales n'augmente pas l'illusion de réel. Contre toute attente, le paysage résultant de cette surdétermination visuelle n'accuse aucune artificialité, mais perce à jour l'essence même de l'œuvre, à savoir sa dimension sensible.
Au cours de la transformation du tableau, Bertrand Planes introduit à chaque étape du processus d'infimes modifications à la composition. Chacune raconte en creux la naissance du tableau et rappelle que l'art résulte d'une quête incertaine dans laquelle l'hésitation de même qu'une certaine part d'erreur sont à prendre en considération. Dans la démarche de Bertrand Planes, les coulures de l'émulsion photosensible et les messages d'erreur générés par le vidéoprojecteur soulignent que les compositions présentées sont nées d'une pratique aléatoire dont les imprévus communiquent à l'œuvre une authenticité qu'aucun média numérique ne pourrait parvenir à restituer.
Au terme du processus, la poésie introduite par les accidents inhérents à la création parvient à insuffler une intensité nouvelle. Reproduite et ayant subie les transformations successives de la photographie et du numérique, l'image du paysage primitif reprend peu à peu ses droits. Là où Walter Benjamin accusait la reproductibilité technique des images d'altérer l'aura de l'œuvre originale, Bertrand Planes démontre que la reproductibilité peut également en restituer l'essence.
Dans le vertige du plus vrai que nature et l'envoûtement procuré par la mise en abyme du réel, Bertrand Planes finit par créer non pas une copie, mais bien un nouvel original, un hyper réel à l'aura restaurée. Un objet autoréférentiel et paradoxal qui abolit tout rapport au temps pour mieux faire renaître la dimension essentialiste de l'œuvre d'art.
Valérie Clerc
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