Auteur de vastes installations, Stéphane Thidet opère sur deux échelles : celle du corps et celle des paysages, dont les points de vue confrontés opèrent comme points de friction. Aux fantômes de l’imaginaire collectif auxquels sa pratique renvoie souvent, l’artiste ajoute ce tressaillement qui tient d’une contemplation déjouée.
Impatience est la deuxième exposition monographique de Stéphane Thidet au sein de la galerie Laurence Bernard. Un ensemble de nouvelles pièces, sculptures, dessins, et photographies travaillées à l’or ou l’argent, révèlent la vitalité de gestes dont l’empreinte n’altère jamais la spontanéité.
MOUVEMENTS, RÉTENTION DU MOUVEMENT
La production d’une image demande parfois de retenir sa respiration : pour ne pas rater un trait, faire trembler l’appareil ou fuir l’animal, perdre l’opportunité d’un instant aussitôt évaporé. Mais Souffle (2018) tolère dans l’espace d’exposition la présence perturbatrice de cet entêtant mouvement d’inspiration, expiration, qui ferait s’arracher les feuilles et courber les champs.
Cet impact d’un geste sur des choses qui lui échappent est une superstition : un jeu faussé de causes et de conséquences. Il se déploie en présence antagoniste de Là (2020), tronc d’arbre contraint entre le plafond et un synthétiseur, produisant une note à l’imperturbable constance. Sa régularité tient à sa stricte autonomie : pas de musicien, mais un exercice de poussées sur un sol blanc - la même note que l’amorce de Désert de Varèse. De ces systèmes autonomes, tenant de situations plus que d’installations, selon les mots de l’artiste : «si ces situations peuvent s’acquitter de l’influence de l’extérieur, elles n’en ont pas moins un impact sur l’environnement qui les entoure (...). Elles animent et transforment un espace » (1). Ces sons seraient des bruits de terre, la présomption de flux que Stéphane Thidet relève, ou invente, s’emparant de l’alentour comme un sourcier de son territoire.
LIGNES
Ainsi, les traits posés à l’or ou l’argent sur les paysages de la série Minéralité (2019), tiendraient autant des lignes de force de la peinture classique, que de lignes de failles, ou mouvements de plaque formulant les reliefs. Entre nature et artifice, les espaces historiques du land art américain - déserts de sable et de roche - voient dans l’intervention de l’artiste la matérialisation d’un déplacement intérieur, sous-terrain, voire une mythologie des profondeurs exerçant à la surface leurs poussées. Les encres noires (Sans titre, 2019), de même, expriment la réversibilité d’une force qui pourait s’inscrire sous ou à sa surface, à la manière d’un bâton qui y tracerait ses cercles.
RENVERSEMENTS
Cette réversibilité s’inscrit dans des renversements fréquents dans l’œuvre de Stéphane Thidet, qui, se jouant de la gravité et de la «juste» place des choses, redonne à voir leur orientation initiale. Le tronc de Là, dont la base est plantée au plafond, est autant du ressort du «monde renversé» baroque, plaçant le ciel au sol et le sol au ciel, que de «l’ubiquité spatiale» et de la «géographie parallèle» de Butor, principe de dédoublement d’un lieu dans un autre.
Dès lors, apparaît l’importance de déplacements même modestes, d’interventions parfois minimes, où le seul fait de rehausser une pierre sur des barres de métal (Les immortelles, 2017) fait peser en nous le poids de pierre en équilibre incertain, revenant au principe de situations énoncé par l’artiste : celui offrant au voyeur de comprendre en lui la portée littérale des choses.
(1) Entretien de l’artiste avec Gaël Charbeau, janvier 2017, in Stéphane Thidet, Liénart éditions, Paris, 2017, p. 134